Il riait
C’était un gars que la déveine
Avait un jour pris par le bras
Pour l’emmener dormir à Fresnes
Et c’est des trucs qu’on n’oublie pas !
Il avait des yeux d’mauvais ange
Tombé d’un vilain paradis
Avec un drôle de regard étrange
Qu’avait pas l’air d’être avec lui.
Il trimballait ses idées noires
Afin d’noyer tous ses ennuis
Dans les endroits où l’on va boire
Mais ses ennuis nageaient mieux que lui.
Le chapeau en arrière
Sur des cheveux de jais
Pour bluffer sa misère
Il riait.
Il couchait avec la détresse.
C’est pas une fille à fréquenter
Et c’est pour ça que ses maîtresses,
L’une après l’autre, l’avaient quitté.
Il avait du malheur à r’vendre
Mais personne pour lui en acheter
Alors, histoire de lui en prendre
Moi, je me suis mise à l’aimer.
J’allais v’nir à bout d’sa misère ;
On d’vait s’épouser en janvier.
Comme par hasard y a eu la guerre,
Alors on n’a pas pu s’marier.
Le calot en arrière
Sur des cheveux de jais
Pour bluffer sa misère
Il riait.
Alors il s’est mis à m’écrire
Des mots qu’il n’avait jamais dits.
Avant, il pouvait pas les dire,
Personne ne lui avait appris.
Il disait : « J’apprends l’espérance.
Je sais que tout va commencer.
Tu es mon gala d’bienfaisance
Et grâce à toi, tout va changer. »
J’pensais : « La déveine se repose. »
C’était pour mieux lui marcher d’ssus.
On l’a r’trouvé parmi les choses
Mort avant même d’avoir vécu.
Et le casque en arrière
Sur ses cheveux de jais
Le front dans la poussière
Il riait.